Evaluer l'état psychique du patient
L'interrogatoire et l'examen du patient évalueront :
- Le degré de souffrance psychique (troubles anxiodépressifs),
- L'état réactif ou non, conservation ou non des ressources qui conditionneront la conduite à tenir,
- La sévérité des symptômes physiques et psychiques et les répercussions sociales au travail,
- Le risque suicidaire.
Le médecin pourra s’aider d’outils pour interroger le patient :
- Pour évaluer l’état anxio-dépressif (aide au diagnostic et à l'évaluation de la sévérité de l'état anxio-dépressif) :
- Test de Hamilton qui est un bon indicateur de l'intensité globale du syndrome dépressif ;
- Test PHQ9
- Echelle MADRS (Montgomery-Asberg Depression Rating Scals) qui est sensible à l'efficacité thérapeutique
- Pour évaluer le syndrome d’épuisement professionnel : MBI - Maslach Burnout Inventory ou CBI – Copenhagen Burnout Inventory
Prise en charge médico-psychologique
Une fois qu’une situation de souffrance psychique au travail est suspectée, il est conseillé au médecin traitant de prendre contact rapidement avec le médecin du travail de son patient, par l’intermédiaire de celui-ci (annuaire SISTEPACA), afin de permettre :
- Une appréciation fiable de la situation de travail,
- La cohérence des discours médicaux,
- La mise en œuvre de mesures de prévention par le médecin du travail.
Le médecin traitant assure, en parallèle, la prise en charge médicale et le suivi du patient.
Si besoin il oriente le patient vers :
- Une prise en charge spécialisée (psychiatre, cardiologue…) ;
- Le centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CPPE), il existe un centre par région. Consulter les coordonnées du CRPPE en PACA dans l'annuaire du SISTEPACA ;
- Une consultation spécialisée en souffrance au travail (consulter la liste sur le site Souffrance et travail) ;
- Un psychologue ;
- L’assistante sociale du service de prévention et santé au travail, de l’entreprise, de l'Assurance Maladie ou de la MSA pour aider le patient à faire valoir ses droits sociaux.
Faire attention de ne pas « victimiser » le patient afin d'éviter sa désinsertion professionnelle ; un diagnostic fiable de la situation nécessite la collaboration du médecin du travail et permettra la cohérence des discours médicaux.
Faut-il prescrire un arrêt de travail ?
Le patient vous est adressé par le médecin du travail
Si le médecin du travail a évalué que le poste n’était pas compatible avec l’état de santé, un arrêt de travail peut être nécessaire.
Quelques recommandations concernant la prescription de l’arrêt de travail : extrait du guide édité par l'URPS ML "Le médecin libéral face à la souffrance au travail de ses patients".
Le patient vous consulte spontanément
- Si le sujet présente une souffrance psychique sévère, des idées mortifères, a perdu ses ressources, l'éviction du milieu de travail s'impose. Il est utile d'alerter le médecin du travail.
- Dans les autres cas, il faudra évaluer les avantages et les inconvénients de l'arrêt de travail :
Avantages | Inconvénients |
|
|
Cas particulier du harcèlement moral
Le harcèlement est un terme juridique qui concerne des agissements répétés du harceleur sur une personne, qui :
- altèrent les conditions de travail ;
- portent atteinte à la dignité ;
- altèrent la santé physique ou psychique ;
- compromettent l'avenir professionnel.
Le harcèlement moral n'est pas un diagnostic médical.
Pièges à éviter pour le médecin praticien
- Attention dans la rédaction des certificats médicaux. Ecrire les mots « harcèlement moral », c'est se substituer à la justice. Le harcèlement est une qualification juridique, ce n'est pas un diagnostic médical. Vous pouvez être accusé de diffamation. Il est préférable de décrire l'état de santé du patient/salarié et citer ses « dires ». Le certificat médical ou le courrier ne doit pas être adressé à l'employeur mais remis au salarié à l'intention du médecin du travail. Seule l'inspection du travail ou un juriste peut évaluer si la situation est susceptible de relever d'une infraction de harcèlement moral.
- Certains individus se disent harcelés dans le but d'obtenir des bénéfices secondaires (ex. arrêt de travail…) ou de s'exonérer de la responsabilité de déficiences ou fautes professionnelles.
- De même, il est conseillé de ne pas mentionner une inaptitude au poste de travail dans un certificat médical, mention dévolue au médecin du travail. Cependant, tout renseignement sur les capacités restantes du patient peut aider le médecin du travail à évaluer l'aptitude au poste.
- La recherche de faits précis lors de l'interrogatoire permet souvent de mieux appréhender la notion de harcèlement moral.
Conseiller au patient de rechercher des soutiens dans et/ou hors de l'entreprise
Auprès du médecin du travail de l'entreprise :
En sollicitant une visite occasionnelle (à la demande spontanée du salarié) ou une visite de pré-reprise (si le salarié est en arrêt) pour un examen et une écoute, sur la situation au travail.
Le médecin du travail pourra établir un diagnostic dans l'entreprise et conseiller sur une démarche de prévention des risques psycho-sociaux si nécessaire.
Parfois, la seule solution est le retrait du salarié de son milieu de travail, qui peut être suivi soit d'un reclassement dans l'entreprise, soit d'une inaptitude au poste de travail afin de sauvegarder la santé du salarié. Celle-ci peut amener à un licenciement pour inaptitude ou à une rupture conventionnelle de contrat.
Auprès du centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) :
Il existe un centre par région en France. Certains centres proposent une consultation spécialisée sur la souffrance liée au travail ; se renseigner auprès des centres : voir les coordonnées de CRPPE en région PACA.
Autres soutiens pour le salarié :
- La hiérarchie (n+1, n+2 ...)
- Les collègues de travail
- Les représentants du Personnel Délégués du personnel, délégués syndicaux et le Comité social et économique (CSE)
- L'Inspection du Travail qui peut
- informer le salarié de la nature répréhensible des agissements de harcèlement moral et des recours juridiques possibles,
- informer le salarié de ses droits,
- relever des infractions au Code du Travail,
- et avec l'accord du salarié, si nécessaire, engager des actions en entreprise
- Les assistantes sociales de l'Assurance Maladie ou de la MSA (régime agricole) dès lors qu'un problème de maintien dans l'emploi est posé.
Quelle reconnaissance dans le régime général et le régime agricole ?
Peut-on déclarer une souffrance liée au travail en accident du travail ?
Oui : Si le patient décrit un fait accidentel, soudain, c'est-à-dire précis et daté, sortant de l'ordinaire et si la souffrance liée au travail a généré des lésions (psychologiques et/ou organiques).
Le certificat médical initial doit être descriptif de ces lésions.
La souffrance liée au travail est-elle inscrite dans un tableau de maladie professionnelle ?
Non : Les pathologies psychiatriques consécutives à une souffrance au travail ne font pas partie d'un tableau de maladie professionnelle. Elles ne peuvent donc pas être reconnues dans le cadre habituel réglementaire (système des tableaux) ;
En cas d'état dépressif lié au travail, il est possible de faire une demande de reconnaissance de maladie professionnelle : le médecin désigne la nature de la maladie qui présente, à son avis, un caractère professionnel y compris si la maladie n’est pas inscrite dans un tableau. Cette demande sera étudiée par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), qui devra établir un lien à la fois direct et essentiel entre la pathologie déclarée (non inscrite dans un tableau de maladie professionnelle) et la situation de travail.
Le patient devra faire la preuve d'une exposition répétée à des risques psychosociaux.
Tentative de suicide et travail
Toute souffrance psychique peut impliquer un risque suicidaire. La crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est la tentative de suicide. Si une personne confrontée à ce moment de grande souffrance, ne trouve pas en elle les ressources suffisantes pour le surmonter, le risque de passage à l’acte existe.
Le patient est en souffrance psychique
Pratiquer l'écoute active et poser des questions pour :
- Comprendre la souffrance : depuis quand ? Quelles manifestations ? Peut-il exister un lien avec le travail ? Quelle représentation le patient a-t-il de sa situation? Quelles stratégies a-t-il mis en place pour sortir de cette situation?
- Repérer l'intensité du désespoir, particulièrement quand il n'y a pas d'issue perçue :
- Evaluer les idées suicidaires +++: quelle fréquence? Depuis quand?
- Les décrire, chercher une gradation dans ces idées: la patient exprime t-il une lassitude de vivre? Envisage t-il la mort? Imagine t-il un moyen de se suicider? A t-il des idées obsédantes? Planifie t-il la mort (testament, courrier …)?
- Evaluer les facteurs de risques d'un passage à l'acte et les facteurs protecteurs :
- Facteurs vulnérabilité : existence d'une dépression? d'affections psychiatriques? d'antécédents de dépression et de tentatives de suicide? de suicide familial? de solitude? d'alcoolisme et autres conduites addictives?.
Le contexte de vulnérabilité dépend beaucoup du statut conjugal, social et professionnel.
- Apprécier la dangerosité et l'urgence : (Recommandations de l'ANAES complétées)
Il est souhaitable d'explorer 6 éléments :
- Le niveau de souffrance : désarroi ou désespoir, repli sur soi, sidération, abattement, isolement relationnel, sentiment de dévalorisation ou d'impuissance, sentiment de culpabilité ;
- Le degré d'intentionnalité : idées envahissantes, rumination, recherche ou non d'aide, attitude par rapport à des propositions de soins, dispositions envisagées ou prises en vue d'un passage à l'acte (plan, scénario) ;
- Les éléments d'impulsivité : tension psychique, instabilité comportementale, agitation motrice, état de panique, antécédents de passage à l'acte, de fugue ou d'actes violents ;
- Un éventuel élément précipitant : conflit, échec, rupture, perte, etc …
- La présence de moyens létaux à disposition : armes, médicaments, etc …
- La qualité du soutien de l'entourage proche : capacité de soutien ou inversement renforcement du risque dans le cas de familles « à transaction suicidaire ou mortifère ».
Il est également souhaitable d’explorer les facteurs protecteurs :
- Soutien de l'entourage : statut marital, présence d'enfants, convictions religieuses ou philosophiques, lien social...
- Prise en charge : acteurs ressource
- le médecin généraliste
- Le psychiatre
- Les urgences hospitalières générales ou psychiatriques.
Le patient a fait une tentative de suicide
Après une tentative de suicide, le patient est à haut risque de mortalité par suicide (1% de suicide réussi dans l'année qui suit).
Un suivi médical par le médecin généraliste, et si possible par un psychiatre, est important pour prévenir les récidives.
Sur le lieu de travail ou pendant le trajet domicile-travail :
- Un suicide ou la tentative de suicide constitue pour l'entreprise à la fois une situation d'urgence à gérer et un signal d'alerte sur un possible phénomène de malaise plus largement répandu. Bien souvent, une cellule psychologique sera mise en place.
- Une déclaration en accident du travail est faite par l'employeur. Le certificat médical initial sur l'état de la personne sera rédigé par le médecin des urgences ou par le médecin traitant.
Hors temps et lieu travail :
Une déclaration en accident du travail pourra être faite par le patient ou ses ayant-droits si la présomption de relation avec le travail semble forte. Le certificat médical initial sera rédigé par le médecin des urgences ou le médecin traitant. Pour la reconnaissance par l'organisme de sécurité sociale, la présomption d'imputabilité ne s'applique pas, le patient (ou ses ayant-droits) devra apporter la preuve du lien entre les lésions et le travail.
Dans les deux cas, après une tentative de suicide, évaluer la possibilité d'un retour au travail et proposer au patient une visite de pré-reprise auprès de son médecin du travail.
Le suicide ou la tentative de suicide concerne un(e) collègue de travail du patient sur le lieu de travail
Les témoins directs doivent bénéficier d'une prise en charge particulière, dans les premiers instants de survenue de l’évènement afin de limiter les effets du stress post-traumatique.
En cas de stress post-traumatique d'un patient, outre une prise en charge médico-psychologique adaptée, lui conseiller de se rapprocher de son médecin du travail dans le cadre d'une visite occasionnelle afin que ce dernier mobilise l’ensemble des moyens à sa disposition et adaptés à la situation du patient/salarié.